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ÀAmsterdam. (Photos de Sam Elony)

Des bonnes adresses, des photos et l’histoire de Camille à découvrir dans la rubrique PAGES.

CAMILLE À AMSTERDAM 22.

Publié par Anonyme in L’HISTOIRE DE CAMILLE.

L’embarcation ralentit au niveau du musée de l’Hermitage et vire sur la gauche pour s’engager sur le Prinsengracht. Aux fenêtres grandes ouvertes des appartements, sur le pas de leurs portes, dans les bateaux que nous croisons, les amstellodamois profitent des derniers rayons du soleil. Ils ont un verre à la main, des amis ou de la famille à leurs côtés. Cette fois encore, Betje salue certain d’entre eux d’un geste élégant de la main. 

J’imagine ma mère à sa place, le geste moins discret et la tenue flamboyante. 

« Nous allons au Dylan » crierait-elle à la volée. 

Un hôtel-restaurant de luxe sur le Keizergracht…    

Le bateau glisse à couvert des arbres qui filtrent une lumière intéressante sur le profil de Betje.  Je dégaine mon appareil photo. 

_ Tu m’as parlé de ton aversion pour l’imposture, intervient Luuk, mais j’ai l’impression que tu tombes dans le panneau à chaque fois. Amsterdam, ma mère…

_ Ta mère ? répété-je.

_ Le regard admiratif que tu portes sur elle est justifié mais elle a sa part d’ombre. Comme tout le monde. Par exemple, quand j’ai voulu prendre mon indépendance, elle a tenté subrepticement de me culpabiliser par rapport à cette décision. Aujourd’hui encore, si mes visites sont trop espacées, elle agit de la sorte. D’ailleurs, elle m’a acheté un bateau afin que je vienne la voir plus souvent.    

_ Je te trouve bien ingrat, fis-je.

_ On en reparlera…

Nous approchons de mon immeuble et Luuk bondit de la banquette afin de  préparer les bouts pour l’amarrage. J’en profite pour me rapprocher de Betje. 

_ Votre fils estime que mon approche de cette ville est  idéaliste, biaisé-je.

_ Sa maladie tient à distance toute sensiblerie mais ne prenez pas pour argent comptant tout ce qu’il vous dit. C’est une protection comme une autre. Quant à vous…  Je peux vous tutoyer ?

_ Bien sur.

_ Quant à toi, reprend-t-elle, tu vis ici depuis six mois et tu as encore un regard de touriste. 

_ Mais le siècle d’or ? insisté-je. Vous semblez tous en faire peu de cas ?

_ En fait, nous sommes une société sans mémoire depuis les années 60. A cette époque, comme je te l’expliquais tout à l’heure, des réformes importantes ont privilégié le développement personnel sur le savoir éducatif. Dés lors, l’enseignement littéraire, philosophique ou historique, est  passé au second plan. L’accès aux études supérieures est devenu accessible à toutes les couches sociales de la société ; une réussite indéniable de notre système ; mais ce déficit de culture générale est perçu comme un handicap pour les néerlandais occupant des postes à dimension internationale. Maintenant, on peut également y voir la quiétude d’un peuple heureux qui vit sans se préoccuper de sa grandeur passée et c’est sans doute ce que tu ressens ici.            

 

Une agitation particulière m’interpelle, alors que nous arrivons prés de chez moi. 

Un attroupement sur la berge, une bagarre… 

_ C’est Willem !

Un jeune homme le bouscule. Geert, son gigolo, sans aucun doute, mais le geste est violent, la chute inévitable parmi les tables et les chaises du bar voisin. Un mouvement de panique se propage chez les clients de l’établissement.

_ Il faut accoster, réagit Luuk. Vite !

Sa mère manœuvre habilement et nous gagnons la terre ferme où le fou furieux saisit une bouteille qu’il s’apprête à fracasser sur la tête de Willem.  Mon amoureux le devance. Il pousse Geert à son tour et l’envoie valser dans les bras des policiers qui surgissent de leur véhicule à cet instant.

_ Ordure !! hurle l’aliéné malgré l’intervention. Je vais te crever !

Dans l’urgence, il n’est plus question de compromis néerlandais mais de bras menottés dans le dos et d’un passage en garde à vue. Je me précipite sur Willem. Son hale des Caraïbes n’est plus qu’une pâle épouvante creusant son visage. Il tremble, presque en transe, alors que je le prend dans mes bras.

_ J’étais décidé à le quitter, pleure-t-il.

_ Tu l’as fait, Willem. Tu l’as bel et bien fait

                                                                  

                                                                            *

Luuk et Willem m’accompagnent sur le ponton terrasse du ‘t smalle où nous profitons d’une  douce soirée d’été en attendant le moment opportun. Non loin de notre promontoire, j’aperçois la vieille dame du quartier qui, après chacun de ses repas, sort de chez elle et jette des miettes de pain pour une nuée de mouette surgit d’on ne sait où. Les oiseaux balaient l’espace de cris stridents au dessus de nos têtes. Les touristes dégainent leur appareil photos. Mon voisin, lui, semble fasciné par le charme de mon amoureux mais il parle peu. Les coups de son propre amant l’ont ébranlé. Un moindre mal comparé au scandale perpétré devant l’entrée de notre immeuble. Sans ce point de détail géographique, son visage tuméfié aurait pu s’expliquer par une mauvaise chute. En conséquence, depuis l’altercation, Willem reste cloitré dans le confort de son duplex et ne cesse de regretter cet nième voyage au bout du monde qui n’a rien changé pour leur couple. Bien au contraire. 

A peine arrivés sur l’ile de Saint Barth, en effet, Geert s’est entiché d’un antillais et Willem ne l’a plus vu des trois mois qu’a duré le séjour. Comptant sur son charme pour tout arranger, comme d’habitude, le gigolo s’est pointé au moment de reprendre l’avion pour les Pays-Bas mais Willem n’a pas desserré les dents de tout le vol et l’avis de  rupture est tombé comme un couperet face à l’immeuble d’Amsterdam où le jeune homme est devenu fou. 

_ Ce n’était pas la première fois, avoue mon voisin. Dés que je le surprend en flagrant délit, il agit comme un gosse gâté, il profère des horreurs et menace d’une manière toujours violente. 

_ Le mode opératoire des faibles, conclus-je.

Certaine personne, comme mon ami sexagénaire, ont besoin de se retrouver au bord du gouffre pour ouvrir les yeux mais le voilà libéré de cette emprise et je suis heureuse pour lui.         

A 22h30, l’obscurité s’abat sur la ville et j’enfourche le tout nouveau vélo que je viens d’acquérir. Mes deux amis font de même et nous pédalons en direction du Westerpark.