Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
ÀAmsterdam. (Photos de Sam Elony)

Des bonnes adresses, des photos et l’histoire de Camille à découvrir dans la rubrique PAGES.

CAMILLE À AMSTERDAM 16.

Publié par Anonyme in L’HISTOIRE DE CAMILLE.

_ Allez ! m’impatienté-je. Raconte ! 

_ Depuis le début ?

_ Depuis le début. 

 

_ En fait, commence Marie-Claire sans bouder son plaisir, nous nous sommes perdues de vue quand tu as rencontré ce mec qui te voulait pour lui tout seul. Merde ! J’ai oublié son prénom.

Moi aussi. Je prend note du reproche, cependant. 

_ Enfin, bref ! Tu te souviens du bar que nous fréquentions  ?

J’acquiesce alors qu’un serveur ouvre la bouteille et remplis nos verres.

_ J’ai gardé mes habitudes dans ce bouge et, un soir, un type m’a abordé en disant que mon look punk conviendrait parfaitement à son travail. C’était Jeff. Il taguait les murs de la ville et j’ai donc posé devant ses œuvres pour un ami photographe. 

_ Mais oui !! m’exclamé-je soudain.

Le dessin de la petite rondelette en jeans, tee-shirt blanc et cheveux jaunes dressés sur la tête s’impose à ma mémoire. Une image qui se décline à l’infini dans les boutiques du monde entier.

_ Je suis la muse de l’artiste, fanfaronne-t-elle. A partir du jour où il s’est inspiré de ces photos pour bomber les murs, la machine s’est emballée. Le succès est arrivé, l’argent a suivi, puis le mariage, notre installation à Londres, les voyages afin de promouvoir son art… Quinze ans de folie.

Une fois de plus, elle soupire d’aise en dégustant son verre d’alcool.

_ En février dernier, nous sommes venus à Amsterdam où mon mari, exposait. Willem était au vernissage et, malgré mes quinze années de vie au Royaume uni, mon accent français l’a interpellé. Il m’a raconté qu’une de mes compatriotes venait de s’installer en dessous de chez lui. Une certaine Camille, employée de mairie à Lille… 

 

« Le monde est petit pour ceux qui, comme nous, s’aiment d’un si grand amour »

Marie-Claire cite Arletty qu’elle imite à la perfection.

 

_ Ca fait du bien de se lâcher, s’esclaffe-t-elle. Mon homme me dit toujours de surveiller mon langage et de rire moins fort. Il faut dire que Jeff Labombe s’est embourgeoisé à un point…                         

_ Labombe ? Tu t’appelles Marie-Claire Labombe ? 

Je la taquine. Par la même occasion, je teste l’autodérision qui la caractérisait mais l’échange retrouve la complicité passée. Instantanément.

_ C’est son pseudo d’artiste, espèce d’idiote.

_ Et donc, Willem t’a invité à ce vernissage ?

_ Où il devait être présent, avec Geert, pour le plaisir de voir ta tête quand tu me découvrirais. 

_ Tu connais Geert, également ?

_ Une catastrophe, ce mec. La caricature du gigolo. 

_ Willem est un homme qui ne supporte pas la solitude… C’est dingue ! m’enthousiasmé-je sans aucune transition. A 17 ans, on découvrait Amsterdam ensemble et, vingt ans plus tard, on se retrouve au même endroit, dans ce pince fesses où nous discutons de relations communes…

_ Grâce à Willem.

_ Il est à Saint Barth, annoncé-je, laconique, avant de reprendre. Je suis heureuse pour toi, tu as réalisé tes rêves d’ascension sociale.

_ Et toi ?  

 

J’attendais cette question depuis le début de notre conversation. Deux mots comme un coup de boulet sur les défenses que je consolide, chaque jour un peu plus, mais le barrage cède et j’éclate en sanglots.

 _ Paumée, fis-je. Je suis complètement paumée…   

_ Eh…, calme toi. 

Comme vingt ans plus tôt, Marie-Claire fait fi de tout ce qui nous entoure et se concentre sur l’essentiel. Elle vire deux gamines qui, sans rien demander,  se sont installées à nos côtés, s’installe près de moi et sèche mes larmes. 

_ Ce n’est pas l’impression que je donne à cet instant précis mais je suis heureuse depuis mon arrivée à Amsterdam. Je vis dans un beau quartier, j’apprécie mon confort financier et l’oisiveté qui va avec, je me suis fait des amis… En vérité, Je suis venu m’installer dans cette ville pour tout reprendre à zéro…

_ On ne recommence pas sa vie, disait Simone Signoret. On la continue.

_ Peut-être ! fis-je, légèrement agacée par cette aparté. Mais moi, je n’ai rien fait de cette vie jusqu’à ce jour et je ne sais pas comment la poursuivre. Pour cela, il faudrait que je sache qui je suis … Je suis paumée, Marie-Claire. 

_  Je peux t’aider, si tu veux ?  

Mon regard se pose à la ronde et j’imagine le silence soudain, les conversations et les notes de musique suspendues en faveur du verdict qui s’annonce.

_ Tu sais qui je suis ? Vraiment ? 

_ Bien sur, dit-elle. Dés le début de notre relation, j’ai su que tu jouais double jeu.

_ Que veux tu dire par là ? 

Je suis pétrifiée de peur comme quelqu’un qui avance sur des œufs.

_ La fugueuse, la droguée…, énonce-t-elle sans aucune rancœur. Tu mentais pour t’opposer au mode de vie de tes parents et pour attirer leur attention, on le sait toutes les deux,  mais tu profitais de leur facilité financière en même temps. Il me semble que tu as laissé faire ton père quand il t’a acheté ce deux pièce à Lille ?

_ Comment peux tu connaître ce détail ? m’étonné-je. On ne se voyait plus à cette époque ?  

_ Ta mère m’appelait de temps en temps, avoue-t-elle à son tour.. Quand on s’est perdues de vue, toi et moi, elle a continué et…, elle me téléphone encore aujourd’hui. 

Ma mère et Marie-Claire… 

_ La première fois, c’était le fameux soir où tu as découché pour la première fois, tu te rappelles ?

J’acquiesce d’un léger coup de tête.

_  Ta mère s’est inquiétée, elle a composé mon numéro et…, je suppose qu’elle m’a trouvé moins conne qu’elle ne le pensait. 

_ Que disait-elle ?

_ Rien que tu ne saches déjà : elle rêvait d’être accepté dans ce milieu bourgeois qui n’est pas le sien, elle y mettait toute son énergie et il restait peu de temps pour s’occuper de toi. Ta mère avait conscience de ton mal être, tu sais ?  Et comme elle, comme toi, j’ai pensé que tes choix de vie visaient leur égoïsme. Sincèrement, dit-elle encore, je pensais que ces lubies te passeraient. Tu es resté combien de temps dans ce quartier pourri ?

_ J’y vivais encore l’année dernière.

 

Je sens bien qu’elle se retient de rire quand je m’enfonce un peu plus dans les coussins. 

Cette conversation me déstabilise au plus haut point.

 _ Tu penses donc que je me suis perdue dans mes propres contradictions et qu’elles m’ont menées à l’échec ?

_ Ça, c’est que tu penses, toi !  Je dirais plutôt que l’abandon affectif de tes parents a engendré un mépris de ta personne qui  laisse à penser que tu ne mérites pas le bonheur. En conséquence, tu choisis toutes les options qui te punissent :  vie de banlieue, job ennuyeux, les amis qui ne le sont pas, les mecs minables… 

_ Il ne me reste plus qu’à sauter par dessus la rambarde, fis-je, déconfite.

_ Mais non, Camille ! La bonne nouvelle, c’est qu’il te reste l’autre moitié de ta vie pour t’aimer. Tu l’as annoncé, en préambule : « Je suis heureuse depuis mon arrivée à Amsterdam »  Regarde-toi ! Tu as toujours été jolie mais, aujourd’hui, tu en as conscience, tu as de l’allure, tu es sexy. Tout le monde s’est retourné sur toi quand tu t’es avancée sur cette terrasse. Et tu es riche…

_ Riche ? m’étonné-je.

_ Ton père te verse une rente, je le sais, mais je suis persuadée que tu ne touches pas à cet argent ?  La pénitence, toujours… 

_ C’est vrai…, je vis sur la revente de mon appartement…, ce qui revient à la même chose… Que vont penser mes nouveaux amis ? m’inquiété-je soudain. Je leur ai donné l’image d’une fille rebelle et…

_ Tu connais tous leurs petits secrets, toi ?

 

Je secoue la tête négativement tout en me mouchant bruyamment. Une effusion de plus qui irrite l’élite amstellodamoise dont la patience, en définitive,  semble connaître des limites.    

Par bonheur, une détonation détourne tous les regards de notre binôme. La galeriste a prévu un feu d’artifice pour son protégé photographe et les invités se pressent au bord de la terrasse.   Un mouvement de foule qui laisse trainer une odeur familière dans son sillage et ouvre d’autres perspectives à la soirée.

 _ Ca te dirait de fumer un joint ?

_ Comme au bon vieux temps ? dit-elle.

_ C’est ça. D’autant plus qu’à mes soucis existentiels s’ajoute le mystère Wouter.

_ Wouter ?

_ Un type que j’ai trouvé sous mon parquet. Enfin…, des photomatons de cet homme. 445, pour être précise mais je te raconterais cette histoire plus tard.  

 

Je saisi sa main et l’emmène en courant vers les ascenseurs.

 

 

Au diable toutes ces considérations existentielles. J’ai envie d’être légère, à présent. 

En sortant du Hilton Tree, j’allume une roulée et je rejoins le parking des deux roues.

_ On fait un tour ?

_ Tu fais du vélo en talons aiguilles ?

_ Bien entendu.

_ Et moi, je m’installe où ? s’inquiète-t-elle en tirant sur le pétard.

_ Je me lance, tu fais quelques pas derrière moi et tu sautes, en amazone, sur le porte bagages. 

_ Bien sur…

Quelques tentatives hasardeuses et de nombreux fous rires s’imposent avant de filer le long des bassins à flot, vestiges de la rivière Amstel qui partageaient la ville médiévale en deux. 

 Mon amie glousse de  peur tandis que nous évoluons aux abords encombrés de la gare. Des appareils photos se dressent sur notre passage. Mon élégance et les attributs sexy de Marie-Claire y contribuent mais ces touristes nous prennent pour deux hollandaises. J’en suis persuadée.

 

« Bientôt, je saurais conjuguer le maintien à l’allure désinvolte tandis qu’une amie trottera derrière mon vélo pour sauter sur le porte bagage. Sans jamais râler, nous éviterons les visiteurs étrangers qui pédalent en groupe d'une manière maladroite. Aux touristes piétons qui s’aventurent sur la route, nous ne dirons rien du principe de sécurité : « Ce n’est pas à toi d’éviter les vélos mais à nous de le faire » Non. Nous nous contenterons de les effrayer d’un léger contact et d’un coup de sonnette, comme une âpre caresse… »

 

Ce vœu  traversait mon esprit, alors que je venais de m’installer à Amsterdam. 

Il se réalise aujourd’hui et me galvanise. Je m’amuse, je prends des risques…

Je me souviens d’un scooter qui surgit de nulle part, du cri de Marie Claire…

 

…, et de notre chute.

 

Je reprend mes esprits dans une ambulance filant à toute allure et sirènes hurlantes.

Je suis allongée. Au dessus de moi, un type me pose une question, toujours la même.

_ Comment vous sentez vous ?

Je tourne la tête et je vois mon amie. Son costume blanc est souillé, déchiré, mais elle semble en forme. Juste inquiète.

_ Comment te sens tu ? dit-elle à son tour.

_ Ca va.

_ Pas de vertige ? Des troubles de la vision ? enchaîne le secouriste.

_ Juste un peu mal au crâne.

_ Ca ne m’étonne pas, rit Marie-Claire. On s’est pris un de ces gadins. 

_ Et le scooter ?

_ Le mec s’est tiré.

A l’hôpital, les brancardiers m’emmènent faire un scanner qui reste muet et confirme un simple choc. On me suggère une nuit en observation mais je demande à signer une décharge pour rentrer chez moi. 

_ Nous pouvons repartir en tram, dis-je à l’infirmière. Mon amie va bien, elle veillera sur moi.

_ Pendant votre examen, nous avons pris la liberté de regarder dans votre sac à main afin de prévenir l’un de vos proches. Quelqu’un va venir vous chercher. 

Willem est au bout du monde et trois autres cartes de visite se trouvent dans mon portefeuille. Celle de la dame de 90 ans qui ne se déplacera pas jusqu’ici ainsi que les coordonnés de Jan et Luuk.    

 

 
 

_ Quand je pense qu’une suite m’attend au Hilton, lâche ma bimbo blonde alors que l’on patiente dans le couloir d’hôpital, sur des chaises en plastique écarlate. 

Je connais son humour et je ne relève pas.

_ Tu t’es fait des ennemies depuis ton arrivée dans cette ville.

Je souris.

_ Cette fois, je ne plaisante pas, Camille. Pendant que les urgentistes t’installaient dans l’ambulance, je me suis dirigé vers le type en scooter qui est tombé, lui aussi. Il s’est barré dès qu’il m’a vu m’approcher mais un couple est venu me dire qu’il semblait attendre sur le côté de la route et qu’il a démarré en trombe dés qu’il nous a vu passer.

_ Les gens ont trop d’imagination.

_ Quand même, s’insurge-t-elle. 

_ Ma tête a heurté quoi ? 

Sous le bandage, je sens une bosse de la taille d’un œuf.

_ La bordure. 

_ Je suis désolé.

_ Ne le sois pas. Et oublie ton vélo, il est foutu.

_ Merde, soufflé-je. C’était celui d’Yvonne, ma logeuse.

 Les doubles portes vitrées du hall d’entrée coulissent sur Jan qui se précipite vers moi.

_ Ca va ?  

_ Un peu sonnée mais ça va. Marie-Claire, annoncé-je en désignant mon amie. 

 

Cette dernière le salue avec froideur. Dans la camionnette de Jan qui nous ramène au centre ville, elle reste silencieuse, tout comme lui. La foudre s’est-elle abattue sur ce couple, grillant tout système de communication ?  Leurs regards qui, sans faillir, fixent la route dément toutes éventualité de ce genre. Pour ma part, je suis encore sous le choc de notre chute et je ne fais rien pour enrayer l’aphasie qui s’étend jusqu’à notre arrivée, face au Hilton Tree. 

Marie-Claire remercie furtivement notre chauffeur, nous glissons sur la banquette pour sortir du véhicule et nous nous enlaçons sur le trottoir. 

_ Je suis sincèrement désolée, fis-je encore.  

_  Ne t’en fais pas pour ça. Ces retrouvailles sont dignes de notre amitié. Elles me font beaucoup de bien.

_ Tu repars quand ?

_ Demain matin, très tôt.

_ On essaie de rester en contact ?

Jan lâche un coup d’avertisseur sonore. Un engin de nettoyage est en approche et son véhicule est mal stationné. 

_ Méfie-toi de lui, assène mon amie.

_ Pourquoi dis-tu cela ? 

_ Le type au scooter a rabattu la visière de son casque avant de filer mais j’ai eu le temps de voir son regard étrangement bleu. C’était le sien.

La porte de la camionnette s’est ouverte de l’intérieur.

_ Camille, s’il te plait, insiste Jan. Je gêne la circulation.

_ Tu te trompes, forcément, Marie-Claire.

Je l’ai embrassée et je suis remonté dans le véhicule